Appel à contributions : Connaissances et marchés. Propositions d’articles pour mars 2014

Dossier : « Connaissances et marchés »

COORDINATEURS DU DOSSIER :
Ronan Le Velly (Montpellier SupAgro, UMR Innovation) et
Frédéric Goulet (CIRAD, UMR Innovation)

« Connaissances » et « marchés » constituent deux objets autour desquels les travaux de recherche en sciences sociales ont connu un essor important depuis une vingtaine d’années. Pour partie, les travaux menés conjointement sur ces deux objets se sont élaborés au croisement de la sociologie des sciences et de la sociologie des marchés (MacKenzie et al., 2007 ; Cochoy, 2012) et ont insisté tout particulièrement sur la prise en compte des dispositifs matériels, que ce soit dans la production et la circulation des connaissances (Callon, 1989) ou la détermination de la valeur des biens marchands (Callon & Muniesa, 2005 ; Vatin, 2009), avec des questionnements importants sur la performativité des connaissances et des théories.

La relation entre connaissances et marchés constitue aujourd’hui un front de recherche important dans les sciences humaines et sociales, soulevant de nombreuses questions empiriques et théoriques. Sans être exhaustif, ces questionnements peuvent être organisés autour de trois principaux registres d’interrogation. Tout d’abord, que sait-on aujourd’hui de la façon dont les connaissances sont mises en marché ? Ensuite, en quoi la production, la mobilisation et la mise en circulation des connaissances joue-t-elle un rôle dans le comportement des acteurs engagés dans des activités marchandes ? Enfin, quels débats et controverses soulèvent la marchandisation des connaissances ? Ce dossier propose d’instruire ces questions, en mobilisant des travaux de recherches empiriques portant sur les formes de relations entre « connaissances » et « marchés ».

Ces questionnements s’avèrent d’actualité, à l’heure où les relations entre connaissances et marchés s’invitent dans les débats de société et les choix politiques. Les connaissances sont ainsi plus que jamais considérées comme des leviers d’innovation et de production de valeur pour les acteurs publics et privés. En partant de l’observation de marchés ou de secteurs économiques, ce sont donc tout d’abord les ressorts et les mécanismes à l’œuvre dans ces dynamiques que ce dossier cherchera à appréhender :

  • Comment les acteurs des marchés mobilisent-ils les connaissances pour asseoir leur ascendant sur leurs concurrents, leurs clients ou leurs fournisseurs ?
  • Par l’élaboration de quels dispositifs d’évaluation, de valorisation et d’échange de connaissances génèrent-ils des asymétries qui leur sont favorables ?
  • En retour, comment les acteurs qui subissent des dominations sur le marché contestent ou s’autonomisent des dispositifs et des connaissances dominantes ? En particulier, s’appuient-ils sur des théories et des connaissances alternatives ?

Avec ce dossier il s’agit également d’interroger le caractère particulier de la marchandise « connaissance » et d’appréhender les éventuelles spécificités de sa commodification et de sa commercialisation. Si les scientifiques, en tant que producteurs de connaissances peuvent être concernés par ces dynamiques, il s’agit avant tout de documenter les pratiques d’acteurs intermédiaires distribuant de la connaissance à des usagers. Il existe en effet une multitude de marchés concrets où se vendent et s’achètent des biens et services pour lesquels la connaissance occupe une place centrale : marchés du conseil, de l’expertise, de la formation, de la recherche-développement. En outre, sur d’autres marchés portant à première vue sur la seule vente de produits, des activités de mobilisation et transfert de connaissances s’avèrent essentielles pour conquérir et conserver des clients (Cochoy, 2004 ; Goulet & Le Velly, 2013). Dès lors, ce dossier abordera les questions suivantes :

  • Comment s’organise de façon concrète et matérielle, la mise en circulation des connaissances dans les activités marchandes ?
  • Quelles sont les modalités de qualification et de jugement des connaissances observables, et que font les dispositifs intervenant dans ces processus (labels, classements, notations…) ?
  • De même, comment les connaissances sont-elles valorisées et acquièrent un prix sur le marché ? Si des travaux en sociologie économiques ont d’ores et déjà abordé cette dernière question pour certains marchés de conseil, à travers la mise en avant de différences de statuts et de positions dans les réseaux (Karpik, 1995 ; Uzzi & Lancaster, 2004), il convient d’interroger plus en profondeur les processus de « valuation » marchande des connaissances.

Enfin, le contexte actuel tend à montrer que certains types de connaissances, considérées habituellement comme des biens communs, font l’objet d’une mise en circulation au sein d’arènes marchandes. Les financements privés ou les brevets sur les connaissances ont une histoire longue mais de nouvelles dynamiques s’exercent auprès de différents types de connaissances, en premier lieu desquelles se trouvent les connaissances scientifiques. Ces dernières sont en effet mises en marché au sein d’un système éditorial où s’affirment un nombre toujours plus réduit de protagonistes, soulevant des oppositions fortes au sein les communautés scientifiques. Mais c’est le cas également des connaissances profanes pouvant donner lieu à des formes de valorisation industrielles (mobilisation des savoirs indigènes dans l’industrie pharmaceutique, valorisation des traditions et des terroirs par l’industrie agroalimentaire). Ces débats et controverses sont souvent rassemblés dans une critique commune de la « marchandisation des connaissances » (Azam, 2007) ou du « capitalisme cognitif » (Moulier Boutang, 2008). Cette marchandisation est alors pensée comme croissante, sinon inédite, et néfaste, aussi bien pour les progrès de la recherche scientifique qu’en raison de ses conséquences économiques et sociales. Ce dossier de la RAC ambitionne donc d’éclairer aussi ce versant des relations entre connaissance et marchés :

  • Peut-on caractériser cette « marchandisation » ? Peut-on, à la suite de cet effort de définition, objectiver l’accroissement de la marchandisation des connaissances ?
  • L’autonomie de la recherche est-elle forcément mise à mal par la relation au monde du marché ? Faut-il dénier tout pouvoir aux acteurs économiques comme il en a été parfois dénié aux malades dans la recherche médicale (Rabeharisoa et Callon, 1999 ; Dodier, 2003) ?
  • Enfin, quels sont les effets socio-économiques de l’appropriation et de la circulation marchande des connaissances ?

Les relations entre connaissances et marchés constituent un « terrain en mouvement », dans lequel les zones de contact sont variées et en évolution à la croisée de multiples scènes de la vie sociale. L’objectif de ce dossier de la Revue d’Anthropologie des Connaissances est donc d’ouvrir un espace de recherche et de réflexion sur la nature et sur les évolutions contemporaines des interfaces, ou des démarcations, entre connaissances et marchés. Les contributions attendues devront être basées sur des travaux de recherche empirique. Elles pourront aborder les questionnements mentionnés dans l’appel à article, mais d’autres pistes de réflexion permettant d’éclairer les relations entre connaissances et marchés seront reçues avec intérêt.

Les propositions devront être envoyées aux deux coordinateurs du dossier, Ronan Le Velly (levelly@supagro.inra.fr) et Frédéric Goulet (frederic.goulet@cirad.fr) avant le 1er mars 2014. Les propositions seront ensuite sélectionnées par les coordinateurs du dossier et le Comité de la RAC puis elles seront évaluées selon les procédures habituelles de la Revue d’Anthropologie des Connaissances (http://www.ird.fr/socanco/article89.html). Il est également demandé aux auteurs de respecter les règles de rédaction (http://www.ird.fr/socanco/article1.html). En Particulier, les articles ne doivent normalement pas dépasser les 45 000 signes. La publication du dossier est prévue pour la fin de l’année 2014.


Les articles doivent être déposés sur le site de la Revue d’Anthropologie des Connaissances en utilisant la feuille de style de la revue et en respectant les règles de rédaction et notamment l’anonymat pour permettre une évaluation "en aveugle".