Appel à contributions : Les savoirs de l’agro-écologie [jusqu’au 31 mars 2017]

Les savoirs de l’agro-écologie.

Production et circulation des connaissances liées à l’écologisation de l’agriculture

COORDINATEURS DU DOSSIER :

  • Claude Compagnone,
  • Claire Lamine,
  • Lucie Dupré

En 2012, le ministère de l’agriculture français a décidé d’orienter l’ensemble de sa politique agricole vers la promotion de l’agro-écologie. Ce choix politique – qu’il soit ou non, par la suite, remis en cause – s’inscrit dans un contexte où l’agriculture, en France comme ailleurs, se trouve soumise à un impératif croissant d’écologisation (Mormont, 2013). Ces processus d’écologisation des pratiques soulèvent de nombreuses questions en ce qui concerne les connaissances mobilisées dans l’écologisation de l’agriculture, tant du point de vue de leurs formes de production que de leur mise en circulation.
En effet, cet impératif se traduit par une réglementation de plus en plus stricte en matière de production, de stockage et d’usage de matières potentiellement dangereuses pour la santé humaine et l’environnement (fertilisants, désherbants, produits phytosanitaires). Il donne lieu au déploiement d’un ensemble de dispositifs d’action publique visant, pour certains, à favoriser ou à encadrer les démarches de réduction de l’usage de ces matières de synthèse (comme dans le plan Ecophyto), et pour d’autres, à soutenir les formes d’agriculture écologisée, telle que l’agriculture biologique. Nombre d’agriculteurs entrent ainsi dans des processus d’écologisation de leurs pratiques. Si ces processus peuvent découler des nouvelles contraintes qui leur sont imposées, ils peuvent aussi tenir d’un choix délibéré à s’engager dans des pratiques vertueuses d’un point de vue environnemental, qu’il s’agisse d’agriculture biologique ou d’autres modèles d’agriculture « écologisée ».
Le présent appel à articles invite à explorer, dans leur diversité et leur complexité, les dynamiques liées aux connaissances en jeu dans les processus d’écologisation à l’œuvre aujourd’hui en agriculture, en s’intéressant notamment aux quatre thèmes suivants.

Le premier thème porte sur la façon dont les connaissances produites à l’échelle internationale, et notamment dans les pays du Sud, viennent interroger, alimenter et déplacer les conceptions sur ce que peut ou pourrait être une agriculture écologisée dans un pays du Nord tel que la France. La diversification croissante des modèles d’agriculture écologisée amène à repenser les positionnements réciproques des centres et des périphéries de la production des connaissances. Au niveau des échanges internationaux, des connaissances produites dans les pays du Sud viennent réinterroger les façons de produire des pays du Nord. La montée en puissance de l’agro-écologie ne peut-elle pas être, alors, interprétée comme un « mouvement de développement inverse » par lequel les pays du Sud, avec leur panoplie de connaissances agronomiques situées, alimentent en alternatives les pays du Nord ? Quelle est l’effectivité de ce mouvement et comment se réalise-t-il ? En quoi affecte-t-il les modes et les lieux de production et de circulation des connaissances sur l’échiquier Nord / Sud ? Comment engage-t-il, dans les pays du Nord, les acteurs dans de nouvelles formes de coopération mais aussi de concurrence dans la production des connaissances et l’invention de nouveaux systèmes ?

Le deuxième thème concerne la place des agriculteurs dans les processus de construction des connaissances pour l’écologisation des pratiques. En France, le « modèle agro-écologique » proposé par le gouvernement met en avant les connaissances propres des agriculteurs, jusqu’ici peu prises en compte. Comment ce modèle qui semble se situer à un croisement entre des démarches top-down et bottom-up du développement ouvre-t-il à une plus grande considération des savoirs et de la capacité d’expertise des agriculteurs ? Dans quelle mesure des connaissances « actionnables » ou « situées » sont-elles élaborées ou réélaborées collectivement par les agriculteurs eux-mêmes ? Comment les inventions des agriculteurs en matière de pratiques alternatives sont-elles capitalisées à une échelle plus large ? De quelle manière la connaissance agronomique peut-elle être, non plus seulement mise à disposition des agriculteurs, mais aussi construite en pratique avec eux et par eux ?

Le troisième thème traite des transformations des formes de conseil ou d’accompagnement des agriculteurs dans ces dynamiques d’écologisation, ainsi qu’aux modes d’évaluation des processus d’écologisation des pratiques et aux formes de normalisation des façons de faire dans lesquels ils s’inscrivent. Dans un contexte de politiques publiques cherchant à favoriser une écologisation de l’agriculture, ou plus spécifiquement l’émergence d’un modèle agro-écologique, les organismes qui conseillent les agriculteurs sont amenés à modifier leurs pratiques pour orienter ou accompagner ces derniers vers de nouvelles façons de faire (Compagnone et al., 2015). Comment assiste-t-on, dans ce contexte, à une reconfiguration de l’espace professionnel du conseil, et de ce fait, à une redéfinition des modalités de construction, de circulation et de mise à l’épreuve des connaissances ? Comment les savoirs des agriculteurs sont-ils saisis, traduits et formalisés par les conseillers ? Et inversement, comment les agriculteurs questionnent-ils et, dans une certaine mesure, remettent-ils en cause les savoirs de « l’encadrement agricole » ? Par ailleurs, la normalisation de l’activité agricole, que celle-ci découle de la réglementation publique ou des normes privées (Loconto et Fouilleux, 2013), s’accroit. Ainsi, alors que d’un côté on fait appel, avec la promotion de l’agro-écologie, au savoir agronomique et à l’invention des agriculteurs, d’un autre côté leur activité tend à être de plus en plus réglementée et normalisée. Comment cette normalisation croissante modifie-t-elle la façon dont les agriculteurs pensent leur pratique et exercent leur métier ? Sur quels types de connaissances, de références ou d’indicateurs s’appuient la réglementation publique et les standards privés pour normaliser les pratiques ? Quels nouveaux modes d’évaluation de l’écologisation des pratiques apparaissent et quels types d’expertise sont ainsi mobilisés ? Quelle place les agriculteurs occupent-ils dans la construction de ces modes d’évaluation ?
Le quatrième thème, enfin, s’intéresse à la manière dont des connaissances spécifiques sont produites dans l’interaction entre les agriculteurs et des acteurs non-agricoles autour des questions de fonctions et de services rendus par l’agriculture. Les dynamiques d’écologisation de l’agriculture mettent en scène, hormis les acteurs agricoles, d’autres acteurs - tels que les agents des collectivités, les gestionnaires d’espaces naturels, les représentants d’associations, les consommateurs, etc. -, que ce soit à l’échelle d’un territoire particulier, à l’échelle du système agri-alimentaire (Lamine, 2015) ou, plus largement, à l’échelle de la société (Alphandéry et Billaud, 1996). Les interactions avec les agriculteurs donnent lieu à des controverses et des compromis, notamment autour de l’appréciation de l’impact des pratiques agricoles et des « fonctions » ou « services » rendus par l’agriculture. Comment, dans l’interaction entre ces acteurs de différente nature, des connaissances spécifiques, mais aussi des dispositifs socio-techniques singuliers, sont-ils construits autour de ces questions de services et de fonctions ? Comment des questions complexes, telles que celles portant sur les changements d’échelles dans l’appréhension des problèmes (parcelle, exploitation, territoire, écosystème…), sont-elles prises en compte (Dupré et al., 2015) ?
A travers le traitement de ces différents points, le présent appel à articles ambitionne de donner à voir les dynamiques en cours dans la construction et la circulation des connaissances en agriculture, dans un contexte de développement de l’agro-écologie comme nouveau cadre d’écologisation.

Références

Alphandéry P. et Billaud J-P, 1996, « L’agriculture à l’article de l’environnement », Études Rurales, n° 141-142, p. 9‑19.
Compagnone C., Goulet F. et Labarthe P. (coord.), 2015, Conseil privé en agriculture : acteurs, pratiques et marché, Dijon et Paris, Educagri Editions et Editions Quae.
Dupré L., Lasseur J. et Poccard-Chapuis, R., 2015, « Faire pâturer, faire société, durablement », Techniques & Culture, n° 63, p. 202-231.
Lamine C., 2015, « Sustainability and Resilience in Agrifood Systems : Reconnecting Agriculture, Food and the Environment », Sociologia Ruralis, vol. 55, n° 1, p. 41‑61.
Loconto, A., Fouilleux, E., 2013, « Politics of Private Regulation : ISEAL and the shaping of transnational sustainability governance », Regulation and Governance, 8, p. 166-185
Mormont M., 2013, « Écologisation : entre sciences, conventions et pratiques », Natures Sciences Sociétés, vol. 21, n° 2, p. 159-160.

Calendrier :

  • Envoi des articles pour évaluation : 31 mars 2017.
  • Réponse aux auteurs : juin 2017.

  • Envoi des versions finales : le 15 décembre 2017.
  • Publication du dossier : mars 2018.

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