Appel à contributions : Approche écologique et pragmatique des pratiques de l’expertise

APPROCHE ECOLOGIQUE ET PRAGMATIQUE DES PRATIQUES DE L’EXPERTISE

DOSSIER COORDONNE PAR DOMINIQUE VINCK, CLAUDE GILBERT ET MARC BARBIER

Dossier publié RAC 2013/1 (Vol. 7, n° 1)

Appel Approche écologique et pragmatique des pratiques de l’expertise

L’appel à article pour la Revue d’Anthropologie des Connaissances vise à revoir la question de l’expertise scientifique, un sujet sur lequel les travaux abondent autour du débat public, de la transparence et de la démocratie. Ces approches abordent rarement les formes et les pratiques de la mobilisation des experts scientifiques du point de vue des « experts-eux-mêmes » et en tenant compte de la variété des contextes d’exercice d’une expertise fondée sur des savoirs scientifiques (agence, comité ad-hoc, commission, conseil scientifique d’organisation intermédiaire, etc.). L’avènement du système d’agence, par ailleurs en grande transformation, a conduit à ce que de nombreux chercheurs, même en recherche fondamentale, soient mobilisés dans le cadre d’un travail réglementaire ou d’élaboration de normes d’action publique, cela en plus des traditionnels experts des grands corps de l’Etat. Les études sur l’expertise scientifiques ont été enrichies des perspectives ouvertes par les Sciences Studies puis les Risk Studies. La systématisation du recours à l’expert scientifique dans l’action public déjà pointé par J.Habermass, a connu en France une problématisation nouvelle avec les travaux de P.Roqueplo portant une attention à l’articulation entre règles de conduite de l’expertise et règles de décision publique. La procéduralisation de ce recours à l’expertise est aujourd’hui un donné, tout comme la professionnalisation de l’expertise scientifique dans des activité dites de Regulatory Sciences, visant à fonder la décision publique sur des preuves.

Justement parce que les contextes organisationnels de l’expertise et les règles formelles et tacites de nomination de l’expert sont des conditions de la pratique d’expertise il s’agit d’opérer un contournement des approches normatives qui encadre ces pratiques. Pour travailler « ce qu’il en est d’être expert », cela conduit à l’exploration de trois types de thème :

  • Les pratiques de l’expertise scientifique au regard des conditions concrètes d’exercice des missions ou du travail d’expert, des contraintes formelles ou émergente, des ancrages et des trajectoires des experts.
  • Les relations existantes ou les possibles jeux de coopération, de compétition et d’éviction entre experts et communautés professionnelles dans la définition des questions qu’il est « bon » de débattre et des savoirs « légitimes » qu’il est « bon » de mobiliser.
  • Les discours de portée critique ou réflexive (publicisés ou livrés dans le cadre d’écrits intermédiaires ou bien encore capturés dans le contexte de l’entretien de recherche), qui établisse le point de vues des personnes sur les conditions, les produits et les effets des pratiques d’expertises.

Les articles proposés devront privilégier une approche écologique et pragmatique de l’expertise, afin de rompre avec les approches normatives. On entend ici appeler des collègues convaincus de l’importance du tournant pragmatique dans les sciences sociales et prenant les pratiques de l’expertise dans un champ de pratiques lui même en relation avec d’autres champs de pratiques, et que des personnes sont amenées à investir comme des mondes sociaux plus ou moins disjoints et parfois articulé par les institutions. La mise en tension des pratiques d’expertise avec les impératifs et les conditions du contexte ou de la situation d’expertise doit enfin constituer une originalité forte de ce dossier.

L’expertise au concret : trajectoires, pratiques et conditions de travail de l’expertise scientifique

Il s’agit ici d’analyser les pratiques concrètes des experts en situation, en tenant compte du fait que l’expert n’est pas seul, qu’il a des pairs, qu’il agit avec des instruments, pour explorer des questions comme :

  • Comment des chercheurs en viennent-ils à s’engager dans l’expertise ? Comment entrent-ils en expertise ? Comment sont-ils sollicités et pour quelles instances ou arènes ? Comment les scientifiques deviennent-ils ou pas experts et apprennent-ils, dès lors, à l’être ?
  • Comment s’articulent le travail de recherche et la production d’expertise ? Comment s’articulent les investissements de formes des chercheurs dans l’expertise avec les autres investissements qui ont cours dans leurs recherches ?
  • Comment les experts scientifiques font-ils pour ne pas entrer dans des conflits d’intérêts dans les expertises où ils sont invités, précisément du fait de leurs connaissances spécifiques des situations ou des acteurs en présence ? Comment ces scientifiques, devenus experts, sont-ils « rémunérés » (rémunérations financière, symbolique, enjeux de pouvoir) ? Font-ils apparaître cette activité d’expertise dans leurs rapports d’activité de chercheur ?
  • Quelles sont les activités concrètes de l’expert en situation ? Que fait l’expert quand il arrive sur un terrain ? Comment se positionne-t-il par rapport à son terrain, à ses pairs, à son institution ? Quelles règles pratiques mobilisent-ils ou se donne-t-il ? Comment doit-il parfois se distancier de la prise de décision, et d’une demande « d’aide à la décision » ?
  • Comment l’expert utilise-t-il les instruments, outils, standards, dispositifs qui accompagnent sa mission et qui contribuent à son formatage ? Comment l’expert est-il lui-même « instrumenté » et quel rôle joue l’ensemble des dispositifs mobilisés dans l’expertise ?
  • Comment l’expert joue-t-il des contraintes pratiques et sociales de la situation, des ancrages scientifiques et institutionnels, des ressources ? Quelles sont donc ses conditions de travail concrètes et les obligations qu’elles lui imposent ?

L’expertise en tension : la compétition entre experts et communautés professionnelles dans la définition des questions et des savoirs mobilisés

Il s’agit d’explorer les complémentarités, la compétition et parfois les tensions entre chercheurs dans la construction de l’expertise et leurs articulations avec des intérêts divers (économiques, politiques,…) dans la société.

  • Comment s’effectue le « cadrage » des questions en direction de la communauté scientifique et quelle différence présente-t-il par rapport à des cadrages destinés aux ingénieurs ?
  • Quelle est la nature de la compétition scientifique sur le marché de la connaissance : compétition entre disciplines, entre groupes, dans la formulation et le cadrage des questions et des décisions d’expertise, entre types d’expertises (financière, technique, scientifique,…) ?
  • Comment l’avènement d’une expertise réglementaire réalisée en agence tend à constituer des sciences de la régulation ? Quelles sont les différences sociales et techniques entre ces sciences et les disciplines dites plus fondamentales ? Ainsi, quel poids exerce l’expertise dans la constitution et le maintien de certaines communautés scientifiques (par exemple, les épidémiologistes) ?
  • Quelles sont les tensions qui s’exercent sur la constitution et la légitimation de l’expertise ? A quel moment et dans quelles conditions cette compétition entre groupes (ou individus) intervient-elle dans la prise de décision ?
  • Comment se pose la question de la compétition entre expertises, y compris à l’échelle du territoire ? Comment penser sociologiquement ces dynamiques spatiales ? Comment les compétences sont-elles découpées en territoires de compétence (par exemple, par un découpage de l’objet de l’expertise) ?
  • Comment se fait l’économie du partage et de la compétition ? Quelle écologie et quelle cartographie de l’expertise ?
  • Comment s’effectue la compétition entre experts, individuellement ou en groupe, en relation ou pas avec des communautés scientifiques et comment interviennent dans cette compétition les instruments, outils, standards, dispositifs qui accompagnent le cadrage des problèmes.

L’expertise en réflexion et les retours d’expériences

Il s’agit d’analyser la réflexion des experts à travers le retour qu’ils font sur les conditions, les produits et les effets de leurs propres pratiques d’expertises.

  • Quelles postures développent les personnes pour justifier du fait d’être devenus experts ? Quelles sont ainsi les modalités par lesquelles les personnes sont amenées à articuler des champs de pratiques disjoints ?
  • Quelles sont les formes narratives et biographiques qui rendent compte de l’expertise ? Existent-il des méthodologies particulières et nouvelles pour aborder l’étude de ces formes ?
  • Quels sont les différentes formes d’engagement que décrivent les experts (engagement militant, mobilisation pour sa propre communauté scientifique, expertise en retrait sur la posture académique, mise en forme d’une demande, posture critique obtenue par l’intermédiaire du travail d’expertise) ? Que peut-on dire alors de la notion d’engagement du chercheur dans l’expertise, très certainement en renouvelant l’opposition classique de M.Weber (Wissenschaft als Beruf et Politik als Beruf) ?
  • Que provoque le retour sur les traces de l’activité d’expertise ou sur la médiatisation du rôle de l’expert scientifique dans une société du risque ? Quels sont les débats présents ou latents au sein des groupes professionnels ou dans les communautés scientifiques ?

Bibliographie

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Calendrier

Juillet 2010 Appel à publication
Janvier 2011 Soumission des articles complets (45 000 caractères)
Octobre 2011 Version finale pour mise en forme
Fin 2011 / Début 2012 Parution

Longueur des articles : 45.000 signes à accompagner d’un résumé en français, anglais et si possible espagnol de 250 mots

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Articles à envoyer aux coordinateurs du dossier :

dominique.vinck@upmf-grenoble.fr
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barbier@grignon.inra.fr