Appel à articles : "Les studies à l’étude : savoirs, trajectoires, politiques" (date limite : 15 juin 2016)

Les studies à l’étude : savoirs, trajectoires, politiques

COORDINATEURS DU DOSSIER :

Marion Guenot, Université Paris 8 / CRESPPA-Labtop
Lucas Monteil, Université Paris 8 / LEGS
Alice Romerio, Université Paris 8 / CRESPPA-Labtop
Rémi Rouge, Université Paris 8 / CRESPPA-Labtop

Ce dossier de la Revue d’anthropologie des connaissances trouve son origine dans le développement, en France, de nombreux domaines émergents de recherche obéissant à une labellisation par leur objet, à l’instar des labels et formes de structuration scientifique anglo-saxonne autour des « studies ». Il vise à documenter les processus particuliers de formation des domaines d’études et des communautés scientifiques qui s’en revendiquent, et à interroger leurs différences et/ou similitudes avec les modalités de formation plus classique des champs scientifiques largement documentées par la littérature de sociologie et d’histoire de la connaissance scientifique (Lenoir 1997, Heilbron 2004).

Inscrites dans la logique ordinaire et les luttes internes à l’espace universitaire, les opérations de construction académique et discursive de domaines de la recherche en « études » reposent notamment sur des formes d’opposition tacite ou explicite entre « études » et « disciplines ». Pourtant, si les « études » paraissent d’emblée relever d’une construction thématique, force est de constater que nombre d’entre elles refusent ou échappent pourtant au cantonnement à des objets spécifiques. À l’inverse, elles revendiquent souvent leur aptitude à intervenir dans l’ensemble du champ des sciences humaines et sociales, sur la base d’un déplacement d’ordre conceptuel ou paradigmatique (études culturelles, études de genre, animal studies, environmental studies, etc.). Inversement, on notera que les disciplines instituées des sciences humaines et sociales n’échappent pas davantage, d’un certain point de vue, à une logique de constitution autour d’un objet, ou plutôt de concepts-objets (le « politique », le « social », l’ « individu », la « culture »).

Ce dossier s’intéressera tout particulièrement aux trajectoires d’institutionnalisation des « studies » et aux enjeux de pouvoir qui les accompagnent et les sous-tendent : il s’agira d’interroger la grande hétérogénéité des domaines de recherches concernés, tant en termes d’objets et d’orientations théoriques que de cohérence interne ou de structuration. Les contributions pourront ainsi aussi bien porter sur des domaines d’études reconnus dans le champ académique ou en voie d’institutionnalisation que sur des études émergentes ou bénéficiant d’une faible visibilité. De même, elles pourront se centrer sur un domaine d’études en particulier, ou mettre en œuvre une comparaison entre différents domaines d’ « études ». Pour aborder ces questionnements, nous proposons deux axes principaux :

Trajectoires, circulations et institutionnalisation : Il s’agit de rendre compte des trajectoires institutionnelles des différents domaines d’études, de la diffusion des savoirs qu’ils produisent, entre processus d’autonomisation et formes d’incorporation ou de maintien au sein des périmètres disciplinaires. Quel rôle jouent les (re)configurations des modes de financement et d’évaluation de la recherche, et plus généralement des rapports entre champ universitaire et champ politique, dans l’émergence, l’orientation ou l’institutionnalisation des « studies » ? Comment décrire les « cultures épistémiques » partagées en leur sein, et peut-on tracer les références partagées et les filiations qui structurent ces communautés de savoir ? Les propositions pourront porter sur la création ou l’histoire de centres d’enseignement et de recherche, de revues, d’événements scientifiques, mais aussi proposer des analyses basées sur la comparaison ou les relations entre domaines d’études. Les approches proposant une mise en perspective de certains cas issus de l’histoire ou de la sociologie des sciences feront l’objet d’un intérêt particulier, de même que les contributions centrées sur les circulations (et/ou la comparaison) entre différents espaces nationaux et champs universitaires.

Enjeux critiques des études : Nous proposons ici d’approfondir la réflexion contemporaine relative à l’horizon critique des « studies ». À l’instar de l’apport des recherches féministes à l’épistémologie et à la méthodologie des sciences sociales, à travers la critique de la notion d’objectivité et le renforcement des postures de réflexivité (Haraway 1988), quelles ont pu et quelles peuvent être les formes de contribution critique des « études » à la (re)définition des méthodes, objets, finalités, en somme au projet des sciences humaines et sociales ? Et comment le développement des études critiques contribue-t-il à transformer la figure ou les modalités d’intervention de l’ « intellectuel engagé », à remodeler les liens et antagonismes entre engagement et recherche, entre « études par » et « études sur » ? Dans le contexte de l’académisation de certaines causes et mouvements politiques, que penser aujourd’hui des effets de la reconnaissance académique de certaines études, comme de leur autonomisation plus ou moins forte vis-à-vis des mouvements sociaux auxquels elles sont liées, sur leur portée critique ? À l’inverse, de quelles façons l’orientation ou le développement récents de certains domaines d’études – voir par exemple l’émergence des terrorist studies - participent-t-ils de la (re)formation contemporaine des savoirs d’État et techniques de gouvernement, ou encore des logiques d’impérialisme adossées aux politiques de financement et d’exportation de la recherche en sciences sociales (Heilbron, Guilhot et Jeanpierre 2009) ?

Références :
François Cusset, French Theory : Foucault, Derrida, Deleuze et Cie et les mutations de la vie intellectuelle aux États-Unis, Paris : La Découverte, 2005, 378 p.
Frédéric Darbellay, « Où vont les studies ? Interdisciplinarité, transformation disciplinaire et pensée dialogique », Questions de communication [En ligne], 25 | 2014
Donna Haraway, “Situated Knowledges : The Science Question in Feminism as a Site of Discourse on the Privilege of Partial Perspective.”, Feminist Studies 14 (n°3), 1988, pp.575-600.
Johan Heilbron, « A Regime of Disciplines : Toward a Historical Sociology of Disciplinary Knowledge » in : Camic C., Joas H., The Dialogical Turn. New Roles for Sociology in the Postdisciplinary Age. Lanham : Rowman & Littlefield, 2004, p. 23-42.
Johan Heilbron et alii., « Vers une histoire transnationale des sciences sociales », Sociétés contemporaines, 2009/1 n° 73, p. 121-145.
Timothy Lenoir, Instituting Science : The Cultural Production of Scientific Disciplines, Stanford : Stanford University Press, 1997, 353 p.
Éric Maigret, « Ce que les cultural studies font aux savoirs disciplinaires », Questions de communication [En ligne], 26 | 2014.
Lætitia Zecchini, Christine Lorre, « Le postcolonial dans ses allers-retours transatlantiques : glissements, malentendus, réinvention. », Revue française d’études américaines, 4/2010 (n° 126),

Calendrier :

Les articles devront être soumis en ligne à l’adresse signalée dans instructions aux auteurs avant le 15 juin 2016
La publication du dossier est prévue pour mars 2017.


Les articles doivent être déposés sur le site de la Revue d’Anthropologie des Connaissances en utilisant la feuille de style de la revue et en respectant les règles de rédaction et notamment l’anonymat pour permettre une évaluation "en aveugle".