Appel à articles : Aux marges de l’enquête. Retour sur les matériaux mis au placard (propositions pour le 15 avril 2016)

Revue d’anthropologie des connaissances
Appel à articles Revue d’anthropologie des connaissances
« Aux marges de l’enquête. Retour sur les matériaux mis au placard »
Dossier coordonné par Rémy Caveng et Fanny Darbus

Cet appel à contribution investit les problèmes pratiques et épistémologiques au cœur de la construction de connaissances empiriquement fondées en sciences humaines et sociales, en proposant une entrée originale qui vise à penser le mouvement par lequel des éléments issus du terrain peuvent être oubliés, négligés ou disqualifiés. En revenant sur ces matériaux mis aux placards, il s’agit alors de questionner les cadres de la construction de sens sociologique.

Ce numéro propose de s’intéresser aux groupes, individus et phénomènes évacués aux marges de l’enquête et tenus à distance de l’interprétation, soit parce que nous ne disposons pas des catégories ou des outils théoriques pour les penser, soit parce que, faute de leur accorder suffisamment de pertinence ou d’importance, nous ne les incluons pas dans l’objet, au point, parfois de refuser de les voir ou tout simplement de ne pas les apercevoir. Le présent appel constitue une invitation à revisiter les matériaux d’enquête de manière à en faire ressortir les aspects surprenants, déstabilisants et négligés. Que voit-on lorsqu’on examine de manière réflexive les éléments ou les matériaux qu’on a glissés sous le tapis ? Pour répondre à cette interrogation, on propose d’ouvrir deux ensembles de questionnements.

Le premier porte sur les situations plus ou moins spectaculaires de déstabilisation voire de dévoiement du cadre méthodologique, théorique ou épistémologique initial face à certains éléments de l’enquête. Dans quels contextes et pour quelles raisons les chercheurs se retrouvent “dépassés” par leur terrain, au point de renoncer à tout ou partie de leur matériau, voire de remanier profondément les questionnements adressés à leur objet ? Comment, et à quel prix en termes de perte ou de gain de connaissances, reprend-on le contrôle sur l’enquête et son (re)cadrage ? Quels types de phénomènes et de connaissances apparaissent dans ces situations de “hors-piste” méthodologique, théorique ou épistémologique ? Que fait le chercheur des informations recueillies dans ce contexte ? Comment range-t-il ce (et ceux) qui le dérange(nt) ?

Le second ensemble porte à l’opposé sur la ou les manières dont, sans s’en rendre compte, les chercheurs évacuent des faits, des individus ou des groupes de leur champ d’observation ou du domaine des matériaux pertinents. Dans quels contextes et pour quelles raisons les chercheurs traitent-ils comme non pertinents certains matériaux potentiellement révélateurs de dimensions significatives de leur objet et/ou porteurs d’un renouvellement du cadre théorique ? Il s’agira alors d’identifier les raisons de telles mises à l’écart en opérant un retour réflexif permettant de mettre au jour les logiques et savoirs pratiques qui, au sein des opérations de recherche, « protègent » insensiblement les chercheurs des rencontres surprenantes ou les empêchent de porter le regard sur les faits dérangeants.

À partir d’une réappropriation de ces deux ensembles de questionnements, les propositions d’articles devront s’inscrire dans l’un des trois axes suivants au moins.

Axe 1 : Pertes de contrôle dans l’enquête

Les articles attendus dans cet axe porteront sur les modalités d’expression et de surgissement de l’inattendu dans les espaces étudiés et dans les opérations de recherche. Il s’agira de rendre compte des conditions ayant rendu possible un tel surgissement et des effets que celui-ci a pu avoir sur l’analyse et la compréhension des situations observées, notamment en termes de déstabilisation des arrangements antérieurs. Les articles rendront ainsi compte des effets de surprise et de déstabilisation sociale et politique au sein des espaces étudiés. On peut penser par exemple aux situations où le chercheur ne sait plus comment faire face à son enquêté parce qu’il est gagné par des émotions liées à l’attitude d’enquêtés qui se mettent en danger, révèlent des informations sensibles, qui malmènent l’enquêteur, font preuve d’incohérence etc. On attend aussi que soient exposées les tentatives, réussies ou non, de reprise de contrôle ainsi que les conséquences qu’elles ont pu occasionner sur la poursuite de l’enquête, sur l’interprétation des matériaux, sur les constructions théoriques et sur la restitution des résultats.

Axe 2 : Insensibles mises à l’écart

Les contributions s’inscrivant dans cet axe chercheront à rendre compte des opérations pratiques (opérations de recherche, choix des terrains et des enquêtés) et intellectuelles (opérations de classification, d’interprétation, de théorisation) ou encore des opérations d’ordre éthique par lesquelles des faits, individus ou groupes ont été écartés ou traités spécifiquement (comme des exceptions qui confirmeraient les règles par exemple). Dans un même mouvement, les contributions dégageront des éléments permettant d’expliquer pourquoi et comment des telles mises à l’écart ou de tels traitements spécifiques ont pu se produire. Ces contributions devront ainsi mettre au jour l’impensé des opérations de recherche, que celui-ci découle de l’ethnocentrisme de l’enquêteur ou bien de celui du fait que certains enquêtés, en présentant leur réalité, orientent le regard de l’enquêteur sans que celui-ci ne s’en rendre compte, imposant une hiérarchie implicite quant à ce qui « compte ». Les contributions pourront alors développer une réflexion autour de la légitimité des formes de vie ou de la distribution du pouvoir entre l’enquêteur et les différentes catégories d’enquêtés ainsi qu’entre ces dernières.

Axe 3 : Des acteurs à contre-sens pratique et théorique

La question de la hiérarchie des ordres d’importance, des positions sociales, des formes de vie, des principes de légitimité ainsi que celle du pouvoir qui lui est liée constitueront un point d’entrée pour les contributions s’inscrivant dans ce troisième axe. Plus précisément, il pourra s’agir d’étudier la façon dont certains espaces sont propices à la constitution de pratiques surprenantes, déstabilisantes, inclassables pouvant constituer autant de contre-conduites et d’hétérodoxies. Outre la caractérisation de ces espaces, on s’attachera à caractériser les agents qui les occupent et leurs propriétés, de manière à rendre compte des conditions de possibilité de l’émergence de contre-publics constituant autant de défis à notre travail de catégorisation et d’analyse du monde social. Les contributions devront ainsi expliciter ce que ces situations, faits, individus ou groupes « à contre-sens » apportent à la connaissance du monde social et comment, en mettant nos cadres à l’épreuve, ils nous poussent à faire œuvre d’imagination sociologique.

Les propositions d’article - environ 2000 mots - accompagnées d’une bibliographie sommaire, doivent être envoyés à :

Rémy Caveng (remy.caveng@u-picardie.fr) et
Fanny Darbus (fannydarbus@gmail.com)

Au plus tard le 15 avril 2016.

Les articles définitifs devront parvenir le 15 septembre 2016. (Publication prévue courant 2017).

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