Appel à articles : Sciences de la vie coloniale (XIXe-XXe siècles) : bilan, enjeux et perspectives (—>15 septembre 2010)

Appel à articles pour la Revue d’Anthropologie des Connaissances

Sciences de la vie coloniale (XIXe-XXe siècles) : bilan, enjeux et perspectives

Sous la responsabilité de Marion Thomas et Matthieu Fintz

L’essor remarquable des post-colonial studies a permis un renouveau du champ des études coloniales et de l’histoire de la colonisation. Nées sous l’impact du livre d’Edward Saïd, L’Orientalisme, L’Orient créée par l’Occident (1980), ces études reprennent à leur compte l’idée maîtresse du livre de Saïd, à savoir qu’il n’y a pas eu imposition unidirectionnelle d’un savoir impérialiste sur un savoir indigène mais co-construction de différents types de savoirs, circulant dans les sociétés et cherchant une légitimation, non sans conflits et rapports de forces. En reconnaissant ce livre comme source immédiate d’inspiration, des auteurs tels que Gayatri C. Spivak, Homi K. Bhabha et David Arnold ont contribué au développement d’une approche du post-colonial, respectivement en étudiant la parole des dominés, en développant une théorie post-coloniale, en montrant comment la médecine occidentale avait pu être contestée dans des contextes coloniaux.

Si les post-colonial studies ont fondé leurs recherches autour de l’analyse des discours, des historiens, des sociologues et des anthropologues des sciences ont insisté sur la confrontation de ces discours avec les pratiques. Par exemple, Warwick Anderson (2002) en reprenant le concept d’« écologie des savoirs » insiste sur le fait que les études postcoloniales sur la science sont susceptibles de réintroduire la matérialité de la pratique scientifique là où les postcolonial studies ont peut-être trop souvent insisté sur la textualité de la rencontre coloniale.

On peut donc se demander dans quelle mesure le croisement des approches des science studies et des postcolonial studies n’est pas à même de mieux documenter les échanges scientifiques et la production d’identités (à la fois individuelles et sociales) le long de réseaux d’échanges qui, davantage que la dichotomie entre centre et périphérie, viendraient mettre à l’épreuve les agencements et jeux d’échelle entre le local et le global. Même si leurs approches diffèrent, post-colonial studies et science studies permettent peut-être de dépasser la vision réductrice d’un rapport univoque et dominateur des savoirs coloniaux sur les savoirs indigènes et ont résolument, chacune à leur manière, ouvert des pistes de réflexion sur l’histoire de la colonisation et les sciences coloniales. Qu’en est-il des recherches actuelles sur les sciences de la vie coloniales ? Dans quelle mesure ont-elles bénéficié du renouveau apporté par les post-colonial studies et les science studies ? Comment ces études permettent de (re)penser la question des rapports entre savoirs et pouvoirs (ici scientifique) sans tomber dans la vision réductrice d’une manipulation coloniale de tous les savoirs.

Cet appel à contributions s’appuie sur ces nouvelles approches dans le champ des études coloniales. Il veut mesurer leurs éventuelles influences sur les études actuelles d’histoire des sciences de la vie (i.e. sciences biologiques et médicales) coloniales. La vie sous les Tropiques a-t-elle été dotée de caractéristiques telles qu’elle marquait un point de rupture par rapport à la vie expérimentée dans les métropoles et campagnes des pays colonisateurs, justifiant ainsi le régime de domination coloniale ? Par apport aux sciences administratives du gouvernement colonial, comment les sciences de la vie se sont identifiées dans le régime des savoirs utiles pour la colonisation ? Différents points d’entrée et quelques pistes de réflexions s’y rapportant sont proposés :

1) Acclimatation, conservation de la nature et expérimentations

A travers les modèles végétaux, animaux (y compris d’élevage) et humains, proposés dans le cadre d’expériences d’acclimatation, on cherchera à comprendre dans quelle mesure l’équivalence supposée entre les trois modèles a pu produire des effets d’asymétrie. On pourra aussi revenir sur les concepts de « race » et d’« environnement » et montrer la manière dont ils se trouvent mêlés, et sur celui de « tropicalité », notion emprunte d’ambiguïté dans la mesure où elle fait référence à une nature sauvage qu’il faut préserver et/ou domestiquer sous un ordre colonial. Enfin, on pourra réfléchir à l’idée que la colonisation ait pu se présenter comme une expérimentation en plein champ, dans le sens où les conditions sociopolitiques du régime colonial ont pu favoriser la mise en œuvre de mesures qui auraient été disqualifiées en métropole.

2) Circulation et négociations des savoirs

Différents concepts, outils, métaphores et modèles ont contribué à la diffusion des savoirs coloniaux (métaphores de la guerre et de l’invasion, modèle de l’îlot, mais aussi du commensalisme et de relations pacifiées entre l’homme et son environnement) et, pour certains, sont devenus une composante de la pensée biologique et médicale. On pourra aussi documenter la double logique de contestation/validation des savoirs, notamment autour de ce que certains appellent la rencontre coloniale et les zones de contact.

3) Représentation des Tropiques : Jardins d’acclimatation, expositions coloniales, zoos humains, collections muséographiques, films de propagande médicale, autant de lieux et d’objets qui nous permettront de nous interroger sur les modes de représentations des colonies et des colonisés.

4) La professionnalisation des sciences de la vie et de la médecine

Souvent réduites au statut d’objets de science, les populations colonisées n’en sont pas moins devenues aussi des sujets de la science en train de se faire. On pourra ainsi revenir sur les logiques de l’institutionnalisation et de la professionnalisation des sciences de la vie et de la médecine à travers la création de facultés et d’instituts de recherche, de revues et de l’inscription de ces chercheurs dans des réseaux internationaux.

Date limite d’envoi : 15 septembre 2010

Longueur des articles : 45.000 signes (sans les notes) à accompagner d’un résumé en français et en anglais de 250 mots

Merci d’indiquer aussi vos coordonnées et rattachement institutionnel et de lire les instructions aux auteurs !

Articles à envoyer à Marion Thomas (marion.thomas@unistra.fr) et Matthieu Fintz (mfintz@gmail.com)