A la recherche du métronome invisible des organisations
Dossier proposé par Caroline Datchary et Gérald Gaglio
caroline.datchary@univ-tlse2.fr
gerald.gaglio@utt.fr
Dossier publié :
RAC 2014/1 (Vol. 8, n° 1) À la recherche du métronome invisible des organisations
(Appel à propositions d’articles sous forme de résumés qui doivent être envoyés aux coordinateurs du dossier - voir aussi calendrier)
Ce dossier de la Revue d’Anthropologie des Connaissances cherchera à mettre en évidence les savoirs issus de l’articulation des diverses temporalités impliquées dans l’agir au travail. De manière générale, trois types de temporalités s’entrechoquent et s’enchevêtrent au travail :
- une temporalité organisationnelle : qui vise à prescrire et à planifier, tout en s’ajustant aux périodicités du marché voire, quelquefois, à celle, serrée, des médias.
- une temporalité collective : celle des équipes de travail, avec leurs contraintes, leur représentation du « client », leur vision du métier, etc.
- une temporalité individuelle : propre à chaque professionnel, au périmètre de son poste, dépendante d’interactions avec des partenaires, et parfois en conflit avec le temps privé.
Afin que « travail se fasse », ces temporalités doivent être un minimum compatibles ou au moins commensurables. L’effectuation collective du travail dépend même de leur imbrication. A l’inverse du chronomètre taylorien, qui n’envisageait qu’un mouvement allant de la conception à l’exécution, cette imbrication repose sur un va-et-vient constant entre une « activité organisatrice » (Alter, 2000) (ce que l’organisation met en place pour maîtriser le temps) et un « organizing » (Czarniawska, 2008) (l’adaptation aux aléas de l’activité, l’ajustement aux temps collectifs et individuels).
A l’intérieur de ce jeu permanent, ce dossier a pour ambition de mettre en lumière et d’analyser les efforts faits pour rendre compossibles les temporalités organisationnelles, collectives et individuelles au travail, par delà le constat de fragmentation, de complexité, d’accélération et de pression grandissante de l’urgence. Pour ce faire, des appuis se proposent, s’imposent, voire s’inventent. Citons quelques exemples : les business plan, l’année comptable, le mode projet, les roadmaps (prévoyant la durée de vie d’un produit), ainsi que l’énigmatique Time To Market, qui calent l’organisation à son environnement économique. Via l’équipement informatique, l’organisation met également à disposition des collectifs des instruments de gestion du temps (diagramme de Gantt et PERT, logiciel MS Project, méthode ITIL, etc). Les moyens de communication (e-mail, messageries instantanées, téléphones mobiles) s’y ajoutent. Ils induisent une grande facilité d’accès à autrui et une instantanéité dans la transmission des informations, tout en autorisant à désynchroniser les échanges. Des postes d’ordonnanceurs ou de répartiteurs sont aussi créés dans de nombreux secteurs pour harmoniser au mieux le temps du marché avec celui de la production, des formations à la gestion des priorités se dispensent, parfois sous forme de coaching personnalisé. Les collectifs s’approprient cet équipement et ces contraintes, de même qu’ils s’ajustent temporellement en leur sein. Cet effort d’ajustement se manifeste, s’agissant des individus, par des écrits pour soi jouant le rôle de repères cognitifs (Joly, 2004) : post-it transformés en « to do list », agendas partagés ou non, petits cahiers toujours emportés.
Or, malgré cet attirail pour « gérer » le temps, jamais l’impression d’en manquer et de s’en trouver dessaisi n’a été si important (Rosa, 2010). Avec cette contradiction en filigrane, le « travail d’articulation temporelle » n’en est que plus impérieux à étudier en milieu organisé. Il représente un travail supplémentaire et compensatoire qui consiste à colmater les brèches, pallier des changements brusques de priorités, réorganiser régulièrement les cours d’activité. Une concurrence s’instaure aussi entre des cadres temporels (Orlikowki & Yates, 2002) façonnés par les organisations, les collectifs et les individus. Cette concurrence occasionne des rencontres. Nous proposons précisément d’orienter le projecteur sur ces rencontres en insistant sur les mises en compatibilité des différentes temporalités. Cela revient à partir à la recherche du métronome invisible des organisations, en appréhendant la correspondance de temps hétérogènes. Cette combinaison de temps épars, ne s’inscrivant ni dans la même durée (Grossetti, 2006), ni dans le même rythme, semble en effet être un impératif pour parvenir à se coordonner et accomplir son travail « malgré tout ». Les recherches ont peu posé l’enjeu de la réalisation collective du travail en ces termes, ou elles se sont focalisées sur un seul niveau (l’organisation, l’organizing ou l’individu). Ce travail d’articulation temporelle génère en outre des savoirs à étayer, comme :
- ceux relatifs à la manipulation des outils (numériques ou non) de gestion temporelle,
- ceux relatifs à la visibilité mutuelle des temps, sorte de « rhythm mutual awareness », avec l’usage de Doodle ou l’affichage de sa « disponibilité » sur les messageries, par exemple,
- ceux relatifs à l’appropriation (voire la subversion) d’instruments organisationnels de reporting temporel comme les « fiches d’activité », qui pêchent par abstraction et sont en décalage par rapport à la survenance aléatoire des événements (Rosa, 2010).
Les propositions de contribution sur la conjonction de ces différents ordres temporels et l’intelligence collective/individuelle des temps au travail pourront relever de la sociologie, de l’anthropologie, de la psychologie ou des sciences de gestion. Elles concerneront des univers professionnels variés, sans exclusive de taille d’organisation. De façon privilégiée, elles s’appuieront sur une démarche ethnographique. Les contributions de nature théorique seront néanmoins bienvenues, notamment autour des notions d’urgence, d’évènement, d’intensification ou de flexibilité. Les propositions pourront par exemple emprunter :
- une perspective située, focalisée sur l’usage d’artefacts ou de moyens de communication attestant d’une prise en charge de la question temporelle, ou se centrant sur de moments où le temps se réfracte, ce qui entraîne un jonglage temporel.
- une perspective qui se concentre sur la mise en place d’une (ou plusieurs, dans une visée comparatiste) fonction(s) organisationnelle(s) dont l’objectif assigné est de « gagner du temps » en répartissant le travail d’une manière jugée plus rationnelle,
- une perspective réflexive mettant en scène le producteur de savoirs qu’est le chercheur, en prise avec les temporalités de ses enquêtés, de son monde professionnel (où le temps de validité des données empiriques se discute) et d’autres, connexes (temps court des médias).
Bibliographie
- Alter N., 2000. L’innovation ordinaire, Paris, PUF.
- Czarniawska B., 2008. A theory of organizing, Cheltenham, Edward Elgar Publishing.
- Grossetti M., 2006, Trois échelles d’action et d’analyse : l’abstraction comme opérateur d’échelle, L’Année Sociologique, vol. 56, n°2, pp.285-307.
- Joly N., 2004. Ecrire l’événement, le travail agricole mis en mémoire. Sociologie du travail, n°46, 511-527.
- Orlikowski W., Yates J., 2002. It’s about time : temporal structuring in organizations. Organization science, vol. 13, n°6.
- Rosa H. 2010. Accélération, pour une critique sociale du temps. Paris, La Découverte.
30 octobre 2012 : Date limite d’envoi des propositions d’article (1 page minimum- 2 pages maximum)
15 novembre 2012 : Notification de pré-sélection sur la base de ces résumés
28 février 2013 : Soumission des articles complets (65000 signes tout compris maximum).
15 mars 2013 : Lancement des évaluations
15 juin 2013 : Retour des évaluations aux auteurs pré-sélectionnées
Mi-octobre 2013 : Date limite pour envoi des secondes versions
Fin décembre 2013 : Publication du numéro
Les auteurs qui veulent contribuer à ce dossier sont priés d’envoyer des propositions d’articles aux coordinateurs du dossier.
- Caroline Datchary : caroline.datchary@univ-tlse2.fr
ou - Gérald Gaglio : gerald.gaglio@utt.fr
Une fois les propositions acceptées par les coordinateurs, les articles seront à enregistrer en version anonyme (voir "Comment soumettre un article") dans le site de la rédaction de la revue.